Chapitre 20 Pour en finir avec la suffisance française


Chapitre 20

Pour en finir avec la suffisance française

« Français, encore un effort si vous voulez être républicains[1], démocrates, européens… et surtout modestes  »





Karl Marx nous aime et nous connaît bien ; pour lui, le drame des Français est celui des " grands souvenirs " et du " culte réactionnaire du passé ". Au cinéma, cela donne Sunset boulevard [2]; la France a régné sur le muet et serait en train de rater la révolution du parlant.
Deux tendances, bien de chez nous, semblent contradictoires. D’un côté, l’autosatisfaction : pays des Droits de l’homme autoproclamé, fille aînée de l’Église et des Lettres, donneuse de leçons…De l’autre, la haine de soi : propension excessive à la repentance, à la contestation, voire à la division jusqu’à l’affrontement…
Ces deux tendances procèdent du même gant, retourné dans un sens ou l’autre selon l’humeur du jour. Elles ont en commun un présupposé : glorifiant ou dénigrant la France, elles postulent à chaque fois que ce terme, France, veut dire quelque chose. L’autodestruction est de toute évidence l’envers d’une haute idée de soi. Derrière le débat récurrent sur le déclin de la France, il y a l’envie de perpétuer l’idée que ce pays, vingt fois moins peuplé que la Chine, est toujours voué à une mission universelle. 
La honte, autant que la fierté, sont ennemies du discernement.
Parmi les multiples motifs de notre célèbre " antiaméricanisme ", retenons celui du dépit, de la jalousie, de l’aigreur à l’égard d’une nation qui commet les mêmes erreurs que nous : elle a la prétention de croire qu’elle est exceptionnelle, porteuse de valeurs universelles (l’american way of life) et que sa grandeur est inégalée. Nec pluribus impar, " à nul autre pareil ". Pourquoi détestons-nous les États-Unis ? Parce que nous leur ressemblons !
La France peinera à s’engager sur le chemin de la guérison tant qu’elle considèrera ses défauts comme la manifestation d’un génie singulier.
Quand allons-nous entreprendre cette " psychanalyse de l’identité française " ? Psychanalyse suppose anamnèse (renseignements fournis au médecin par un patient sur son passé et l’histoire de sa maladie) ; l’exercice nécessitera l’examen des conditions historiques dans lesquelles cette identité s’est forgée. Mais qui, dans les milieux savants, dans les médias, dans l’opinion en général, se préoccupe de cette indispensable déconstruction-reconstruction de la mémoire française ?
Contre la rigidité franco-identitaire, choisissons la thérapie par l’ironie et l’impertinence. 
Lors du Grand débat national sur l’identité nationale en novembre 2009, le journaliste nord-américain Ted Stanger, auteur de Sacrés français, écrivait : « les Français ont toujours un avis sur tout. Ils adorent qu’on les flatte et qu’on leur fasse croire qu’ils sont intelligents. Un débat comme celui sur l’identité nationale permet de faire oublier la crise, le chômage et de faire bosser les préfectures. »
Ce cher vieux pays devrait donc procéder sans détour à une véritable cure d’amaigrissement -l’orgueil provoque une surcharge pondérale- et de désintoxication. Convenir enfin que sa puissance et son rayonnement tiennent, aujourd’hui, plus aux savoir-faire de ses travailleurs, à la créativité de ses artistes, à la beauté de ses pays, qu’au rappel incantatoire de ses gloires politiques et militaires passées. 
Puisqu’il ne faut pas trop désespérer les Français, laissons-les apprécier ces mots d’Henry Miller, en 1947 : « J’entends sans cesse dire que c’en est fini des Français, en tant que nation ou peuple. Pour moi, cela est impensable. Les Français peuvent perdre une guerre, ils peuvent perdre de leur puissance mondiale, ils peuvent perdre leur territoire, jamais ils ne perdront leur esprit. C’est à cette éternelle qualité humaine, chez vous autres Français -même chez les plus modestes- que je rends hommage. »


[1] Le marquis de Sade n’avait pas tout à fait tort d’exhorter ses concitoyens à faire un effort pour être républicains… (La Philosophie dans le boudoir, 1795).
[2] Boulevard du crépuscule, film noir américain de Billy Wilder, sorti en 1950. Il relate l’histoire tragique d’une ancienne vedette du cinéma muet dont la vie est dominée par le fantasme d’un retour triomphant à l’écran.

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