Chapitre 17
La nostalgie
n’est plus ce qu’elle était
Quand un président
nous renvoie à l’école
Le musée de
l’Histoire de France
Les fêtes
historiques
Les
nostalgiques et la défense de l’histoire traditionnelle
La France
une et indivisible ; identité française et sangs impurs
La ballade
des gens qui sont nés quelque part
Quand un président
nous renvoie à l’école
« Je veux dire à tous les Français que nous sommes les
héritiers d’une seule et même histoire dont nous avons toutes les raisons
d’être fiers. Si on aime la France, on doit assumer son histoire et celle de
tous les Français qui ont fait de la France une grande nation. » Discours
d’investiture du 26 janvier 2007 du candidat UMP Nicolas Sarkozy à l’élection
présidentielle. On dirait qu’il réécrit lui-même les chapitres de son manuel
scolaire. Lequel préférait-il : le
Tour de la France par deux enfants, le manuel d’histoire de France de G.
Bruno, ou Le petit Lavisse, autre
best-seller de la littérature scolaire de la IIIe République,
réconciliant la France des Rois et celle de la République.
Voici son panthéon
: « La France, elle a 17 ans, le
visage de Guy Môquet quand il a été fusillé (...), elle a 19 ans, et le visage
lumineux d’une fille de Lorraine quand Jeanne comparaît devant ses juges (...),
elle a 50 ans et la voix du général de Gaulle, le 18 juin 1940 (...), elle a 58
ans et le visage de Zola quand il signe J’accuse pour défendre Dreyfus et la justice. »
Le musée de l’Histoire de France
Un des
événements déclencheurs de cet essai avait été l’annonce, en janvier 2009, de
la création d’un musée de l’Histoire de France, il faut le rappeler.
A l’époque,
deux " sommités " de l’histoire académique avaient exprimé
leur opinion. Évidemment, Max Gallo, notre " Michelet des temps modernes
", qui collectionne toujours pieusement les belles images de la communale,
Vercingétorix, Charlemagne, Bonaparte, Jaurès, de Gaulle…au bénéfice de son
fonds de commerce éditorial, manifestait une totale approbation. Par contre, Alain
Decaux, de l’Académie française, se disait «
étonné et surpris. Je n’en vois pas l’utilité. Paris est déjà en soi un immense
musée », rappelant le nombre de musées qui sont déjà consacrés à l’histoire
dans notre pays.
Où en
sommes-nous aujourd’hui, en février 2012 ?
Le musée de
l’Histoire de France est-il un lieu sans adresse ? Le chef de l’État avait
demandé dès août 2007 à la ministre de la Culture de réfléchir à la faisabilité
d’un " centre de recherche et de collections permanentes dédié à
l’histoire civile et militaire de la France ". Il avait été pensé aux Invalides.
Une idée qui ne ravissait pas le directeur du musée de l’Armée ; selon
lui, un tel musée aurait plutôt sa place à Versailles. Il avait été ensuite
question des Archives nationales, mais des réticences s’étaient levées.
Le maire de
Vincennes entend relancer le projet qui lui tient à cœur : « je souhaite reprendre le combat en
faveur du château de Vincennes, qui constitue d’un point de vue tant historique
que logistique et financier, le meilleur choix que l’État puisse faire. »
Il existe
déjà plusieurs établissements spécialisés dans l’histoire de France. Le premier
à porter le titre de Musée de l’Histoire de France est logé dans deux ailes du
Château de Versailles. C’est Louis-Philippe, roi bourgeois à la tête de poire, qui
l’avait créé pour exalter « toutes les
gloires de la France. » Sur les défaites, rien, bien sûr. Pas plus de
Waterloo que de Pavie, de Crécy que d’Aboukir. Rien non plus sur les crimes de
guerre dont la France éternelle s’honore, de Charles Martel en Narbonnaise à
Bugeaud (la fameuse casquette chantée dans les colonies de vacances de l’auteur
dans les années 50) en passant par Béziers en 1209, le saccage des campagnes
rhénanes sous Louis XIV et celui des vendéennes à la Révolution.
Le second
Musée de l’Histoire de France, on le doit à Napoléon III, aux Archives
nationales.
À quoi peut bien
servir un nième musée de l’Histoire de France ? De rempart culturel contre
tout ce qui nous menace : les communautarismes à l’intérieur, l’Europe et
la mondialisation à l’extérieur, avec le syndrome du déclin de l’identité
française par-dessus le marché ? Une autre ligne Maginot, mentale cette fois.
Les fêtes historiques
Selon la Fédération
française des fêtes et spectacles historiques (FFSH), environ 1 500 fresques et
fêtes historiques sont organisées chaque année en France. En tête du
hit-parade, le spectacle du Puy-du-Fou avec 1,4 million de spectateurs en
moyenne.
En
vrac : au château de Saint-Fargeau (Yonne), 3 000 spectateurs par soir,
dix siècles en 15 tableaux ; la Fête des Remparts de Dinan ; Verdun
(Meuse), 300 000 visiteurs par an ; Graulhet (Tarn), les Marches du
temps ; Provins (Seine-et-Marne), la Légende des chevaliers, les aigles
des remparts, les cavaliers des steppes…
Une explication
à cet engouement pour le médiéval : le retour nostalgique vers un passé agraire,
à chaque fois que la société est secouée ; par peur de demain, on aurait besoin
de se rattacher à quelque chose qu’on connaît, la France-gloire, la France-mémoire.
Les nostalgiques et la défense de
l’histoire traditionnelle
Dans ce
large inventaire des manifestations de la suffisance, il est impossible de ne
pas tomber parfois sur Max Gallo, le chantre prolifique de notre roman
historique national. En 2006, il publiait Fier
d’être Français. Tout un programme !
Quels sont
les constituants du discours nostalgique ? Les Français aiment la France
et n’ont aucune envie qu’elle perde sa singularité. Les divinités de leur
panthéon national restent plutôt martiales : Charlemagne, saint Louis, Jeanne
d’Arc, François Ier, Louis XIV, La Fayette, Napoléon.
En réalité,
il leur déplaît souverainement que la France en crise ressemble à ses voisins,
manquant par le fait à son devoir d’exemplarité ; comme s’ils ne lui
reconnaissaient pas le droit à la banalité. D’une certaine façon, ils
accréditent l’imputation de suffisance qui leur est si souvent reprochée ici ou
là.
Comment
expliquer ce sentiment d’amoureux à la fois transis et vite désenchantés. Les
Français ont conscience d’hériter de quinze siècles d’histoire assez fabuleux,
et ça les flatte. Ils sont à la fois mal dans leurs pompes et bien dans leur
pays. D’ailleurs, ils s’expatrient malaisément ; il faut de grosses primes
pour les parachuter là où l’économie tourne à plein régime, Amériques, Chine,
Inde, etc. « Plus me plaît le séjour
qu’ont bâti mes aïeux »: ce vers de Du Bellay reste de mise à l’heure de la
mondialisation.
À l’aune de leurs
fantasmes, la seule Europe plausible aura été celle, résolument "
impérialiste ", ébauchée par Charlemagne, puis par Napoléon : une sorte de
pax francorum qui inciterait nos
voisins... à nous ressembler. Elle n’est plus du tout à l’ordre du jour.
Au fond, les
Français ont une peur panique que la France ne ressemble plus à sa très chère
imagerie. Parce que " leur " France leur paraît belle comme une
madone, ils croient qu’elle les protégera de tout. Ils ne peuvent ni ne veulent
admettre que plus rien n’est acquis par les temps qui courent.
Eric Zemmour
a publié chez Fayard-Denoël, Mélancolie
française.
Il pose un
regard sur l’histoire de France à travers le prisme de l’héritage romain. Selon
lui, Paris a souhaité perpétuer Rome, de la chute de l’empire jusqu’à nos
jours. Notre pays sut parfois répondre à ce rêve et imposer à l’Europe la
fameuse paix romaine. Aujourd’hui ce rêve romain s’évanouit dans une Europe
qu’Eric Zemmour considère comme démesurée. Il tire de ce constat une
mélancolie, une mélancolie française. La France est trop petite et souffre de
s’en rendre compte. Partant du principe que tout empire est voué à la chute,
Zemmour rappelle que celle à laquelle se destine la France ne saurait tarder...
« La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste
», écrivait
Victor Hugo.
À
l’annonce du renouvellement des programmes d’histoire dans le secondaire dans
l’été 2010, des voix s’étaient élevées pour défendre le roman national, ses
héros et l’admiration qu’ils devaient toujours susciter.
Denis
Tillinac, La Dépêche du 25 juillet
2010 : « L’histoire de France
est en danger depuis au moins soixante ans. Notre mémoire nationale est
aujourd’hui agressée, concassée ; la mythologie identitaire nationale
forgée par les instituteurs, ces fameux " hussards noirs de la
République ", est attaquée. Louis XIV et Napoléon doivent rester des
gloires nationales. »
« Aujourd’hui, Napoléon est commémoré en
Russie ; en Allemagne, on reconstitue des batailles en Europe de
l’Est ; seuls deux pays le rejettent, l’Espagne…et la France. » Pour
l’Espagne, eu égard au souvenir laissé par les troupes napoléoniennes, on
comprend ; d’autre part, il est plus juste de dire que la Russie et l’Allemagne
célèbrent des victoires sur Napoléon et l’éveil de leur conscience nationale,
qui s’est faite contre les envahisseurs français.
Commentaires
de Patricia Crété, rédactrice en chef de la revue Historia : « A l’école, l’histoire de France est
en danger. En cause, une européanisation, voire une mondialisation de
l’histoire poussée à l’extrême. On ne doit rien lâcher sur les grands
personnages de notre pays. Il est fondamental de connaître nos racines. A
l’étranger, on ne badine pas avec l’histoire du pays. En France, en revanche,
on marche sur la tête, déclarer que les Gaulois sont nos ancêtres est devenu
politiquement incorrect ! »
Dénigrer
la mythologie historique, est-ce mettre en péril l’identité nationale ?
La France une et indivisible ; identité française et sangs impurs
Forgée (à tous les sens du terme, parfois par le fer et par le feu) par
les rois et les empereurs, sanctifiée par les républiques successives, la
France est donc dite " une et
indivisible ". L’incantation, la répétition incessante de
la formule, emportent-elles la conviction ? Nous, Français, sommes-nous si
unis et indivisibles que cela ? La France est peut-être une et
indivisible ; pour ce qui est du peuple, c’est une autre histoire…Le vivre
ensemble, le « plébiscite de tous les
jours », selon le mot de Renan, est encore à construire.
S’il est un thème
récurrent de différenciation entre Français, c’est bien celui qui oppose le Nord
au Sud. En voici quelques exemples.
Michelet : « Les Croisades
eurent aussi pour effet de révéler à l’Europe du Nord celle du Midi. Cette
dernière se présente sous l’aspect le plus choquant : esprit mercantile
plus que chevaleresque, dédaigneuse opulence, élégance et costumes mauresques,
figures sarrasines. Les aliments mêmes étaient un sujet d’éloignement entre les
deux races. Les mangeurs d’ail, d’huile et de figues rappelaient aux croisés
l’impureté du sang mauresque et juif. »
Huysmans (1891) : « Le
sacre des Valois a fait une France sans cohésion, une France absurde. Il nous a
doté, et pour longtemps hélas, de ces
êtres au brou de noix et aux yeux vernis, de ces broyeurs de chocolat et
mâcheurs d’ail, qui ne sont pas du tout Français mais des Espagnols et des
Italiens. »
Rivarol : « La langue d’oc
est un de ces jargons fleuris et riches mais qui n’étant point anoblis, dégradent
tout ce qu’ils touchent. »
Lyautey, en 1917, prévoyant une défaite française, appelait de ses vœux
une grande Lotharingie : « Je
me sens chez moi dans toute la vallée du Rhin, à Mayence, à Cologne, parce que
je suis Franc. Je ne me sens pas bien à Béziers. »
« Je suis un homme du
Nord, un Lorrain, un Normand, un Rhénan ; il y a de tous ces sangs-là dans mon
sang ; mais rien qui vienne d’au-dessous de la Loire... Je n’ai jamais pu
regarder un Toulousain comme un compatriote. »
Taine, de passage à Toulouse, « Les
gens d’ici me déplaisent excessivement. Il y a dans l’accent un jappement et
comme des rentrées de clarinette. A les voir remuer, s’aborder, on sent qu’on
est en présence d’une autre race, un mélange de carlin et de singe. Ces gens-là
ont besoin d’être gouvernés par d’autres. »
Céline, en 1942, se félicitant de l’invasion de la zone Sud par l’armée
allemande : « Zone Sud, zone peuplée
de bâtards méditerranéens, de nervis, félibres gâteux, parasites arabiques que
la France aurait tout intérêt à jeter par-dessus bord. Au-dessous de la Loire,
rien que pourriture, fainéantise, infects métissages négrisiés. »
La ballade
des gens qui sont nés quelque part
C’est vrai qu’ils sont plaisants, tous ces petits
villages,
Tous ces bourgs, ces hameaux, ces lieux-dits, ces cités ,
Avec leurs châteaux forts, leurs églises, leurs plages,
Ils n’ont qu’un seul point faible et c’est d’être habités ,
Et c’est d’être habités par des gens qui regardent
Le reste avec mépris du haut de leurs remparts,
La race des chauvins, des porteurs de cocardes,
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part.
Tous ces bourgs, ces hameaux, ces lieux-dits, ces cités ,
Avec leurs châteaux forts, leurs églises, leurs plages,
Ils n’ont qu’un seul point faible et c’est d’être habités ,
Et c’est d’être habités par des gens qui regardent
Le reste avec mépris du haut de leurs remparts,
La race des chauvins, des porteurs de cocardes,
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part.
Le sable dans lequel, douillettes, leurs autruches
Enfouissent la tête, on ne trouve pas plus fin,
Quand à l’air qu’ils emploient pour gonfler leurs baudruches
Leurs bulles de savon, c’est du souffle divin.
Et, petit à petit, les voilà qui se montent
Le cou jusqu’à penser que le crottin fait par
Leurs chevaux, même en bois, rend jaloux tout le monde,
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part.
Enfouissent la tête, on ne trouve pas plus fin,
Quand à l’air qu’ils emploient pour gonfler leurs baudruches
Leurs bulles de savon, c’est du souffle divin.
Et, petit à petit, les voilà qui se montent
Le cou jusqu’à penser que le crottin fait par
Leurs chevaux, même en bois, rend jaloux tout le monde,
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part.
C’est pas un lieu commun celui de leur naissance,
Ils plaignent de tout cœur les pauvres malchanceux,
Les petits maladroits qui n’eurent pas la présence,
La présence d’esprit de voir le jour chez eux.
Quand sonne le tocsin sur leur bonheur précaire,
Contre les étrangers tous plus ou moins barbares,
Ils sortent de leur trou pour mourir à la guerre,
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part.
Ils plaignent de tout cœur les pauvres malchanceux,
Les petits maladroits qui n’eurent pas la présence,
La présence d’esprit de voir le jour chez eux.
Quand sonne le tocsin sur leur bonheur précaire,
Contre les étrangers tous plus ou moins barbares,
Ils sortent de leur trou pour mourir à la guerre,
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part.
Mon dieu, qu’il ferait bon sur la terre des hommes
Si on n’y rencontrait cette race incongrue,
Cette race importune et qui partout foisonne :
La race des gens du terroir, des gens du cru.
Que la vie serait belle en toutes circonstances
Si vous n’aviez tiré du néant ces jobards,
Preuve, peut-être bien, de votre inexistence :
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part.
Si on n’y rencontrait cette race incongrue,
Cette race importune et qui partout foisonne :
La race des gens du terroir, des gens du cru.
Que la vie serait belle en toutes circonstances
Si vous n’aviez tiré du néant ces jobards,
Preuve, peut-être bien, de votre inexistence :
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part.
Georges Brassens
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