Chapitre 2 La résistible ascension de la maison France 987 - 1515




Chapitre 2
La résistible ascension de la maison France
987 – 1515

Bouvines
La guerre de Cent ans
La France ou la Bourgogne ?
Les flux marchands au Moyen Âge, la position de la France










Les successeurs du petit Capet sont devenus grands. Ils ont réussi l’exploit de donner le nom du modeste fief de leur ancêtre, la  " France ", à un pays qui aujourd’hui va de Lille à Perpignan et de Strasbourg à Brest ; doté de frontières naturelles données par l’océan, la mer, les montagnes, le fleuve (la façade maritime de l’ouest, les Pyrénées, la Méditerranée, les Alpes, le Jura, le Rhin), ou stabilisé par un tracé qui rappelle bien des batailles européennes, au nord-est, entre l’Allemagne et la Belgique.
Cette France existe-t-elle au Moyen Âge ? Jusqu’au XIIe siècle, on utilise le titre de " roi des Francs " pour désigner le capétien. C’est seulement sous Philippe Auguste que les premières traces de la nation française apparaissent dans l’expression " royaume de France " ou le qualificatif de " français ".
Les conflits avec les rois d’Angleterre sont les occasions majeures dans lesquelles s’affirme le pouvoir capétien. En 1200, la France de Philippe II Auguste et l’Angleterre d’Henri II Plantagenêt sont les deux plus grandes puissances monarchiques féodales de l’époque.







Bouvines
Le 27 juillet 1214, les troupes royales de Philippe Auguste, renforcées par des milices communales et soutenues par Frédéric II de Hohenstaufen, affrontent une coalition anglo-germano-flamande menée par Otton IV, l’empereur allemand du Saint Empire germanique, allié du roi d’Angleterre Jean sans Terre et de deux grands vassaux français, les comtes de Boulogne et de Flandre.
Quelles sont ces fameuses " milices communales " dont parlent les historiens ? S’agit-il d’une levée en masse comme en 1972, d’une mobilisation générale comme en 1914 ? Comment aurait-on pu faire appel à des milices venues de communes de tout le pays pour défendre une France qui n’existe toujours pas ? En fait, Philippe Auguste a lancé un appel aux seules communes du Nord. Dix-sept des trente-neuf communes y répondent ; Arras envoie 1 000 miliciens, la région d’Abbeville 2 000 hommes...
Le combat est livré près d’un pont, à Bouvines, à une dizaine de kilomètres au sud-est de Lille. En trois heures, tout est joué. La victoire est sans appel. Othon s’enfuit et perd sa couronne, le Saint empire romain germanique éclate en morceaux. Dépossédé de la Normandie, du Maine, de l’Anjou, de la Touraine et de la Bretagne depuis 1206, Jean Sans Terre cesse les hostilités et regagne l’Angleterre.
Le roi victorieux prend le titre d’Augustus, Philippe II Auguste. Le prince, devenu le plus puissant du continent, pourrait être considéré comme l’initiateur de cette fameuse " suffisance française ", dans sa version guerrière.
Tout comme Poitiers, Bouvines sert de symbole de la victoire des Français sur des envahisseurs, Arabes hier ou Allemands aujourd’hui. En juillet 1914, quelques semaines avant le début de la Grande Guerre, le 700e anniversaire de la bataille de Bouvines avait donné lieu à des manifestations au caractère patriotique et militaire très marqué.
Tandis que Philippe Auguste affronte une coalition venue du nord, les seigneurs du bassin parisien envahissent le Languedoc en 1209, sous prétexte d’éradiquer l’hérésie cathare. Leur victoire sur le comte de Toulouse et le roi d’Aragon, à la bataille de Muret en 1213, un an avant Bouvines, sonnera le glas du particularisme toulousain.
L’Europe au XIIIe siècle






La guerre de Cent Ans
En 1337, le roi d’Angleterre Édouard III lance un défi à son cousin Philippe VI de Valois dont il conteste la légitimité et revendique pour lui-même la couronne de France. C’est le début de la guerre de Cent Ans. Quelques années plus tard, survient à Crécy le premier affrontement terrestre.
La bataille oppose, du 26 au 27 août 1346, l’armée du roi de France (20 000 armures à cheval et de plus de 30 000 hommes, la fine fleur de la chevalerie française) à une armée de 40 000 hommes venue d’Angleterre.
L’armée française n’a aucune tactique pour la bataille et arrive de manière confuse devant les positions anglaises. Le roi Philippe VI ne parvient pas à faire appliquer son ordre de reporter le combat au lendemain. La bataille tourne alors à la confusion, les ordres du roi n’ayant pas été entendu ; les soldats à l’arrêt sont entraînés par les autres dans une sorte de folie générale.

Les mercenaires arbalétriers génois du roi de France se replient et s’enfuient. Croyant à une trahison, le roi ordonne à ses chevaliers de les tuer. La suite, pour les Français, n’est que succession de charges inutiles et meurtrières, sans cohérence ni commandement d’ensemble. Cernés de toutes parts, les chevaliers sont isolés et subissent de lourdes pertes.
Un décompte des pertes donne environ 4 000 morts du côté français, dont 1 542 chevaliers. Les pertes anglaises sont très faibles : 100 à 300 morts.
La grande noblesse française est fragilisée par cette défaite. Au soir de la bataille, dans toute l’Europe, la nouvelle se répand et fait l’effet d’un coup de canon : la chevalerie la plus glorieuse d’Europe s’est fait anéantir par des archers et de la piétaille... La supériorité d’une armée professionnelle, régulière et bien organisée, sur une cohue féodale, certes courageuse mais d’un autre temps, sera la clé des victoires anglaises de la Guerre de Cent Ans.


La bataille d’Azincourt se déroule le vendredi 25 octobre 1415. Les troupes françaises, 30 000 hommes, tentent de barrer la route de Calais à l’armée du roi anglais Henri V, forte d’environ 6 000 hommes. 


 

La bataille se solde par une défaite pour le camp français : la cavalerie lourde, rendue moins efficace par un terrain boueux et les retranchements anglais, est transpercée par les archers gallois. Par indiscipline et convaincus de remporter la victoire grâce à leur supériorité numérique, les Français se précipitent en vagues d’attaque successives qui s’enchevêtrent les unes dans les autres.
Les pertes des Anglais sont de 13 chevaliers et d’une centaine de soldats. Les Français perdent 6 000 chevaliers. La débâcle de la chevalerie française d’Azincourt, qui fait suite à celles de Crécy, met en évidence la conception dépassée que se font de la guerre les armées françaises, en particulier une partie de la chevalerie, alors que les Anglais ont déjà organisé des armées unies et disciplinées.
Cette bataille, où la chevalerie française est mise en déroute par des soldats anglais inférieurs en nombre, sera souvent considérée comme la fin de l’ère de la chevalerie et le début de la suprématie des armes à distance sur la mêlée[1].  


 Le matin précédant la bataille, peinture de Sir John Gilbert




600e anniversaire de la naissance de Jeanne d’Arc en 2012.
Aucune source ne permet de déterminer exactement les origines de Jeanne d’Arc, ni ses date et lieu de naissance : les témoignages d’époque sont imprécis, Domrémy ne possédait pas de registre paroissial. De plus, le village se trouve dans un territoire aux suzerainetés diverses : sur la rive gauche de la Meuse, il peut relever du Barrois mouvant, pour lequel le duc de Bar prête hommage au roi de France depuis 1301 ; il semble cependant plutôt rattaché à la châtellenie de Vaucouleurs, sous l’autorité directe du roi de France depuis 1291. Enfin, l’église du village dépend de la paroisse de Greux, du diocèse de Toul dont l’évêque est prince du Saint Empire germanique. Le duché de Lorraine, un état de l’Empire, est à quelques lieues de Domrémy.
Jeanne a-t-elle sauvé la France en participant à une guerre franco-française, entre Armagnacs et Bourguignons, choisissant le premier camp, celui de la famille royale ? Les Armagnacs défendent le modèle royal français, un système féodal et religieux fort, tandis que les Bourguignons sont plus proches de l’Angleterre, pays où l’artisanat, la bourgeoisie et les villes prennent de l’importance. Dans son combat, Jeanne d’Arc n’a donc bouté aucun Anglais hors de France ! Son miracle est ailleurs, dans le formidable unanimisme que la " patronne de la France " a suscité, rassemblant royalistes et républicains, gauche et droite, collaborateurs et résistants.
Ainsi que l’indique la carte ci-dessous, le territoire que l’on dénomme " France " a peu à voir avec l’actuel : toute la partie Nord-Est-Ouest est contrôlée soit par les Anglais soit par les Bourguignons.  


 La France en 1429

     Territoires contrôlés par Henri V
      Territoires contrôlés par le duc de Bourgogne
      Territoires contrôlés par le dauphin Charles
      Principales batailles
      Raid anglais de 1415
      Itinéraire de Jeanne d'Arc vers Reims en 1429







La France ou la Bourgogne ?

Durant plus d’un siècle, entre 1369 et 1477, les ducs de Bourgogne, Philippe II le Hardi, Philippe III le Bon (qualifié de " grand-duc d’Occident ") Jean sans Peur et Charles le Téméraire, ont rassemblé sous leur autorité un vaste ensemble territorial, situé à cheval entre le royaume de France et le Saint Empire Romain Germanique : du duché de Bourgogne au sud, jusqu’à la Hollande et à la Frise au nord, en passant par la Flandre et l’Artois. La Bourgogne est un véritable État, même si les deux blocs territoriaux qui la composent sont séparés par la Champagne (France) et la Lorraine (Saint Empire). Les ducs rêvent d’assurer la jonction entre leurs territoires épars…ce qui aurait pu changer la face de cette partie de l’Europe.
Les contemporains ont été frappés par la rapidité de l’effondrement de cette puissance bourguignonne, à l’époque de Charles le Téméraire. L’ambition de ce dernier s’est heurtée à l’opposition des cantons suisses, du duc de Lorraine René II, et surtout du roi de France Louis XI. Il mourra lors du siège de Nancy en 1477. Louis XI s’empare du duché de Bourgogne, tandis que l’héritière de Charles le Téméraire, Marie de Bourgogne, apporte en dot à Maximilien de Habsbourg la Franche-Comté et les différentes provinces des Pays-Bas, où la monarchie française et la maison d’Autriche s’affronteront pendant plus de deux siècles.









À la mort de Louis XI en 1483, le royaume de France prend une forme qui le rapproche du territoire actuel. Encore quelques efforts du côté de la Bretagne, du Béarn et surtout des marches de l’Est et du Nord et nous y sommes.
L’organisation politique du pays a toujours été marquée par la distinction entre le royaume de France et le domaine royal. Les rois de France ne se sont pas contentés d’exercer une lointaine suzeraineté, comme c’était le cas dans le Saint Empire Romain Germanique. Au contraire, ils ont voulu être les souverains directs de leur peuple. Entre les premiers Capétiens et Louis XI, on a assisté à une véritable reconquête intérieure du royaume afin de l’assimiler au domaine royal. De ce fait, s’est construit une allégeance directe de la totalité des Français à la couronne ; ce face à face entre sujets et autorité centrale préfigure la centralisation de la monarchie absolue.

En se promenant dans l’histoire des Capétiens, on voit naître comme ailleurs en Europe et depuis les Croisades une agressivité affirmée à l’égard des Juifs. Ainsi, le bon roi Saint Louis (Louis IX, 1214-1270) bannit de France en 1254 les juifs qui refusent de se convertir au catholicisme (décret annulé quelques années plus tard en échange d’un versement d’argent au trésor royal). En 1269, il impose aux juifs de porter des signes vestimentaires distinctifs ;  pour les hommes, un rond d’étoffe jaune, la rouelle, sur la poitrine et un bonnet spécial pour les femmes. La couleur jaune est le symbole de l’or, représentant le péché d’avarice.
En 1306, Philippe IV le Bel (1268-1314)  expulse les 100 000 juifs du royaume et confisque leurs biens.




Les flux marchands au Moyen Âge, la position de la France
Pendant une courte période, entre 1260 et 1320, Troyes, capitale des Foires de Champagne, a été au cœur de l’économie-monde, avant de céder la place à Venise.
Sa chance ? Être à mi-chemin entre deux grands pôles économiques, les cités italiennes et leurs finance, les Flandres et leur industrie textile. Le commerce de l’argent et la mise en place des premiers systèmes de crédit font temporairement de la Champagne le centre financier de l’Europe.



À partir du XVe siècle, les routes commerciales maritimes et terrestres d’importance " évitent " la France en la contournant par la mer ou par les vallées du Rhin et du Danube : Anvers, Bruges, Lisbonne, Gênes, Florence ; Anvers, Cologne, Francfort, Nuremberg, Augsbourg, Venise. Nous n’identifions que trois modestes flux en France : Bruges – Paris ; Bar-sur-Aube – Lyon – Beaucaire ; Lyon – Gênes.
Comment ne pas y voir la préfiguration de la fameuse " banane bleue " des géographes de la fin du XXe siècle, un continuum d’agglomérations et de flux d’échanges de la Belgique à l’Italie du Nord en passant par l’Allemagne.





[1] Henry V, pièce de William Shakespeare raconte la vie du roi Henri V d’Angleterre (1387-1422) et en particulier les événements qui précèdent et suivent la bataille d’Azincourt.

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