Chapitre
1
La France,
un objet historique mal identifié
52 av J.C. –
987
Notre
ancêtre le Gaulois
Notre
ancêtre le Franc
Notre
ancêtre le Chauve
Le petit
royaume d’Hugues Capet
Notre ancêtre le Gaulois
Vercingétorix
est avant tout connu au travers des Commentaires
sur la guerre des Gaules que Jules César rédige tout au long de ses
campagnes et conclut après sa victoire finale d’Alésia[1] sur les Gaulois.
Il est assez
déconcertant, pour brosser le portrait d’un personnage historique, de devoir se
référer essentiellement aux discours et traits de caractère rapportés par son
principal adversaire.
Selon les historiens, Vercingétorix
se serait imposé définitivement comme chef de guerre de la coalition gauloise à
Bibracte (Saône-et-Loire).
Eu égard aux conditions
de déplacement des hommes et des informations à l’époque, à la pluralité des
dialectes, il est permis de se demander comment un tel événement a pu être
organisé. Peut-on croire que les Gaulois du nord, du sud, de l’est et de
l’ouest de l’hexagone aient pu se rassembler et se mettre d’accord pour
proclamer Vercingétorix chef de la résistance face aux Romains ?
Comme tout
bon " communiquant politique ", César avait intérêt à gonfler
l’importance de son adversaire ; mieux vaut, de ce point de vue, se battre
contre une coalition de tous les Gaulois plutôt que d’affronter le
rassemblement hétéroclite de quelques tribus du Morvan, d’Auvergne et de
Bourgogne.
Vercingétorix
a regroupé des forces gauloises, autour de 80 000 combattants, à Alésia. Les 50 000 soldats de César se mettent en
position de siège en faisant construire une double fortification autour de
la place forte, pour empêcher les Gaulois de sortir et de se ravitailler.
Vercingétorix perd la partie au bout d’une quarantaine de jours de siège, ses
troupes mourant de faim. Il se rend à César en 52 av. J.C.
Vercingétorix jette ses armes aux
pieds de César
Dans ce tableau,
le chef gaulois jette ses armes mais, juché sur son cheval, il regarde
César de haut ; c’est à se demander qui est le vainqueur et qui est le
vaincu. Même dans la défaite, la Gaule, la France, sait rester digne et fière.
Jusqu’au XIXe siècle, les
historiens n’évoquent pas Vercingétorix ; leurs travaux sur les origines
de la France ne mentionnent comme premiers habitants que les Francs, Clovis ou Mérovée comme
premiers rois. C’est seulement sous le Second Empire que Vercingétorix fait une
arrivée éclatante dans le club des pères de la nation.
Admirateur
de Jules César, l’empereur
Napoléon III a
puissamment contribué à la redécouverte et à la mise en valeur de l’histoire
des Gaulois.
Aucune
sculpture antique représentant Vercingétorix n’ayant jamais été retrouvée, les
peintres, illustrateurs et sculpteurs du XIXe siècle
ont dû " imaginer " le chef gaulois. Pour ce faire, ils se
sont inspirés des descriptions littéraires de Jules César et des auteurs
anciens, dépeignant les Gaulois comme grands, chevelus et moustachus.
En 1866, Napoléon III fait ériger
une statue de Vercingétorix de sept mètres de haut sur le site présumé d’Alésia à Alise-Sainte-Reine. Certains mauvais esprits ont souligné l’étrange
ressemblance entre le chef gaulois et l’empereur lui-même.
Sur le
socle, on peut lire :
« La Gaule unie
Formant une seule nation
Animée d’un même esprit,
Peut défier l’Univers. »
Vercingétorix
aux Gaulois assemblés
(César,
Guerre des Gaules)
|
C’est la IIIe
République surtout qui
instrumentalise Vercingétorix en insistant sur son rôle héroïque de résistant à l’envahisseur et en lui faisant
incarner le patriotisme blessé.
Cette propagande est
destinée à exalter le patriotisme des
Français, en entretenant le sentiment de revanche après la
défaite de 1870 contre l’Allemagne. La
propagande officielle est à la recherche de héros montrant que l’on peut être
" grand " dans la défaite.
Dans l’enseignement de l’histoire à
des générations d’écoliers, Vercingétorix est présenté comme le premier chef
des Français : « La Gaule fut
conquise par les Romains, malgré la vaillante défense du Gaulois Vercingétorix
qui est le premier héros de notre histoire. » Cette version de " nos ancêtres les Gaulois " a même été imposée dans les
écoles des lointaines colonies.
Vercingétorix
versus Clovis, qui est le véritable fondateur de la patrie ? A gauche,
Vercingétorix, champion des républicains ; à droite, Clovis, champion des
catholiques et dont le principal atout est d’avoir été le premier roi baptisé.
Avant même
de s’interroger sur la France, objet historique mal identifié, demandons-nous
ce qu’est la Gaule ? Les Romains nommaient galli les tribus celtes
qui, à partir du IVe siècle av. J.-C., menacent le nord de la
péninsule italique. Gallia correspond
à l’espace occupé par ces galli. Au
fur et à mesure qu’ils poursuivent leur conquête, les Romains distinguent la Gallia
cisalpina en Italie et la Gallia transalpina de l’autre côté des
Alpes. Parlons donc plutôt de " nos ancêtres les Celtes ",
qui ont occupé peu ou prou la moitié du continent européen !
Notre ancêtre le Franc
La bataille
de Poitiers[2] est une victoire de Charles Martel, maire du palais du
royaume franc, sur les musulmans d’Abd al-Rahman.
Abd
al-Rahman marche sur Poitiers et se dirige vers Tours, dans l’intention de
mettre à sac l’abbaye de Saint-Martin de Tours. Après avoir réuni une armée de
fantassins francs, Charles Martel décide d’attendre que les Sarrasins soient
lourdement chargés de butin pour les attaquer.
Pendant une
semaine, des escarmouches ont lieu, aux confins du Poitou et de la Touraine.
L’affrontement décisif a lieu le 25 octobre 732 ; Abd al-Rahman lance sa
cavalerie sur les Francs ; la mêlée s’engage et les Francs parviennent à
faire refluer les assaillants. Ceux-ci n’ont pas l’occasion d’attaquer une
seconde fois car, de son côté, le duc d’Aquitaine Eudes prend l’ennemi à revers
et se jette sur le campement musulman. Le lendemain, au point du jour, Charles
Martel donne l’ordre d’attaquer, mais le camp est vide, les musulmans l’ont
abandonné dans la nuit.
Au XIXe
siècle, le nationalisme français voit en la bataille de Poitiers un évènement
fondateur de la patrie ; elle est également célébrée comme la capacité de la
France à bouter tout envahisseur hors de ses frontières, à l’heure où
l’occupation de l’Alsace-Moselle[3] suscite
une vive rancœur.
Pourtant,
Anatole France a écrit que « le jour le
plus funeste de l’Histoire de France » fut « le jour de la bataille de Poitiers, quand, en 732, la science, l’art
et la civilisation arabes reculèrent devant la barbarie franque. »
En 1942,
Adolf Hitler déclarait : « Si à Poitiers
Charles Martel avait été battu, le monde aurait changé de face. Puisque le
monde était déjà condamné à l’influence judaïque (et son sous-produit, le
christianisme, est une chose si insipide !), il aurait mieux valu que l’islam
triomphe. Cette religion récompense l’héroïsme, promet au guerrier les joies du
septième ciel… Animé d’un esprit semblable, les Germains auraient conquis le
monde. Ils en ont été empêchés par le christianisme. »
L’image de
l’arrêt d’une invasion à Poitiers reste populaire ; on peut citer, pendant
la Seconde Guerre mondiale, les résistants de la brigade Charles Martel en
Indre et Indre-et-Loire, un groupuscule d’extrême-droite, auteur d’attentats
parfois meurtriers entre 1973 et 1983, dénommé " Groupe, club, commando
Charles-Martel ", le titre de l’affiche " Martel 732, Le Pen 2002
" choisi par le Front national lors de l’élection présidentielle de 2002.
Et l’invasion des magnétoscopes japonais.
En 1981, la
France avait acheté environ 500 000 magnétoscopes à l’étranger,
principalement au Japon. Effrayé par cette ruée, le gouvernement avait
contraint les importateurs à ne plus faire dédouaner leurs appareils dans les
ports mais en plein centre de la France, à Poitiers. Les douanes françaises
traitaient en moyenne 50 000 appareils par mois ; avec les moyens de la
brigade poitevine, ce sera 8 000 par mois. Or les distributeurs en avaient
commandé près de 200 000, pour reconstituer leur stock après la pointe de vente
des fêtes de Noël et du Nouvel An. Nous avons donc arrêté les magnétoscopes
japonais à Poitiers.
Notre
ancêtre le Chauve
Fontenoy-en-Puisaye[4] (Yonne)
est le site d’une bataille qui oppose en 841 les trois petits-fils de
Charlemagne, après la mort de leur père Louis le Pieux ou le Débonnaire en 840.
Celui-ci avait partagé l’empire carolingien en trois : la Francie occidentale
au roi Charles le Chauve, la Francie orientale ou Germanie au roi Louis le
Germanique, la Lotharingie, la partie de l’empire comprise entre les autres
royaumes, à l’empereur Lothaire.
Ce dernier
veut s’emparer de l’empire tout entier et part en guerre contre ses deux
frères. La bataille est acharnée et longtemps indécise (des milliers de morts)
et se solde par la défaite de Lothaire.
Le traité de
Verdun de 843 confirme le partage de l’empire de Charlemagne en trois :
Lotharingie, Germanie et Francie de l’ouest. La France, déjà ?
Le Second
Empire se souvient de ces lointains ancêtres qui seraient à l’origine de la
nation française. Un monument est élevé à leur gloire sur une colline dominant
le village de Fontenoy-en-Puisaye. On peut lire sur le piédestal :
«
Ici fut livrée le 25 juin 841 la bataille de Fontenoy entre les enfants de
Louis le Débonnaire. La victoire de Charles le Chauve sépara la France de
l’empire d’Occident et fonda l’indépendance de la nationalité française. »
Durant le
règne de Charles le Chauve, les rapports entre le souverain et les nobles du
royaume font l’objet de deux capitulaires : celui de Coulaines en 843 où
le roi concède aux nobles « la
jouissance paisible de leur fonction et de leurs biens » et en retour
ces derniers lui apportent « aide et
conseil » ; celui de Quierzy en 877 où le roi garantit à ses
seigneurs la faculté de léguer leurs terres à leur héritier.
Ce sont les
actes de naissance de la féodalité française.
Le petit
royaume d’Hugues Capet
L’histoire de France, telle qu’on la raconte, est celle d’un territoire agrandi peu à peu par les
rois…Un bon roi est celui qui contribue à cette expansion, un mauvais roi est
celui qui contrarie ce mouvement en cédant des parties du territoire royal,
donc national.
Pourtant, il
faut la chercher, cette France, dans les découpages successifs de cette portion
d’Europe située à l’ouest du Rhin et des Alpes. La Gaule, censée être le
berceau de la France, est un ensemble de territoires juxtaposés.
Si nos ancêtres sont bien les Gaulois, de quels Gaulois s’agit-il ? Ceux d’Aquitaine, de Belgique, de Germanie Inférieure ?
Si nos ancêtres sont bien les Gaulois, de quels Gaulois s’agit-il ? Ceux d’Aquitaine, de Belgique, de Germanie Inférieure ?
Nouveau casse-tête à l’époque des Francs, nos ancêtres après les Gaulois sont Burgondes, Francs, Visigoths. Où sont les futurs Français ?
Les royaumes placés sous la souveraineté des Carolingiens s’étendent de l’océan à l’Elbe, la Bretagne restant à l’extérieur. Si l’Europe est franque, c’est que la France n’existe toujours pas.
Si la Francie, issue du traité
de Verdun de 843, préfigure notre pays, cela exclut toute la partie lotharingienne.
En définitive, qui est et où est la France ?
Si vos pas vous portent en banlieue nord
nord-est de Paris (entre l’est du département du Val-d’Oise et une partie de la
Seine-Saint-Denis), vous ne pouvez pas ne pas rencontrer de charmantes
localités dont les noms provoqueront en vous perplexité. En Val d’Oise, vous
rencontrerez Baillet-en-France, Belloy-en-France, Bonneuil-en-France,
Châtenay-en-France, Mareil-en-France, Puiseux-en-France, Roissy-en-France (d’où
l’on part vers le vaste monde). En Seine-Saint-Denis, Tremblay-en-France.
Le pays de France, Parisis ou plaine de
France, délimité par l’Oise, la Marne et la Seine, est le berceau historique de
l’Île-de-France et a donné son nom au pays tout entier.
Tremblay-en-France
Cette portion du territoire national est-elle plus " française " que les autres ? Quoi, ce bout de pays, ce " trou du cul " d’Île-de-France serait le théâtre de nos origines ? On a peine à imaginer que ce paysage banal soit emblématique d’une nation aussi exceptionnelle que la France.
En 987, Hugues Capet est élu roi de France. Ses
possessions directes et discontinues sont limitées au domaine d’Île-de-France et à l’Orléanais : un petit
corridor allant de Compiègne à Dreux et de Paris à Orléans. Patiemment, en
usant du droit féodal, en particulier la confiscation d’un fief à un vassal
félon, mais aussi par d’habiles mariages avec les héritières des grands fiefs,
par les guerres, les achats, ses successeurs agrandissent leur domaine direct
qui finira par se confondre avec le royaume au XVIe siècle.
[1]
Les historiens du dernier quart du XIXe siècle se sont affrontés sur
la localisation d’Alésia : Alise-Sainte-Reine, en Côte d’Or, fait
aujourd’hui l’objet d’un consensus, même si près de 60 bourgades s’attribuent
également le site d’Alésia (dernière candidature, Mandeure, dans le Doubs). La
geste gauloise est avant tout mythologique et s’accommode fort bien de quelques
imprécisions…
[2]
Elle se serait déroulée sur le site de Moussais, commune de Vouneuil-sur-Vienne,
dans le sud de l’agglomération de Châtellerault. Un aménagement didactique y a
été créé. D’autres communes (Cenon-sur-Vienne, Ballan-Miré) revendiquent d’être
le vrai " site ". Comme Alésia, Poitiers est un objet
historico-mythique mal localisé…
[3]
Nous n’avions pas perdu l’Alsace-Lorraine mais plutôt l’Alsace-Moselle ;
en effet, les départements de la Meurthe-et-Moselle et des Vosges, bien
qu’appartenant à la Lorraine, sont restés français.
[4]
Ne pas confondre avec Fontenoy, en Belgique, où les troupes du roi Louis XV ont
battu les Anglais en 1745, lors de la Guerre de succession d’Autriche. « Messieurs les Anglais, tirez les
premiers ! », la tradition populaire a retenu cette phrase célèbre.
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